(Opinion) Roulam Merhej : Moyen-Orient, berceau d’un nouvel équilibre ou point de rupture d’une humanité perdue ?

Le Moyen-Orient sera-t-il le berceau d’un nouvel équilibre mondial ou le point de rupture d’une humanité perdue ?

(Opinion) Roulam Merhej : Moyen-Orient, berceau d’un nouvel équilibre ou point de rupture d’une humanité perdue ?
World
Jan 9, 2025
Par 
Roula Merhej

Dans son dernier ouvrage Engrenages, Pierre Lellouche dresse un constat lucide des grandes menaces qui, à la lumière des récents événements, ne relèvent plus du scénario théorique : elles se matérialisent sous nos yeux. Le multilatéralisme vacille ; l’ONU, paralysée, peine à gérer les crises majeures, cantonnant ses agences humanitaires à un rôle marginal. La prolifération nucléaire ramène la question des armements au premier plan, sur fond d’une Europe quasi-invisible à l’échelle internationale, divisée sur la ligne à tenir face à l’Iran, la Chine ou le conflit israélo-palestinien, et incapable de consolider un modèle démocratique qui recule au profit de régimes autoritaires avançant sans complexe. Le droit international aboie, les décisions de gouvernants passent, inébranlables.

Les États-Unis, après un retrait partiel des affaires globales sous le nouveau mandat de Donald Trump, s’engagent désormais pleinement aux côtés d’Israël, renonçant à l’ambiguïté stratégique. Après avoir longtemps laissé volontairement planer le doute sur une intervention contre l’Iran, Trump scelle son alignement : l’opération « Midnight Hammer » — avec 14 bombes GBU-57 larguées sur Fordo, Ispahan et Natanz — marque la démonstration de force américaine et relance la guerre des civilisations.

Contrairement à la mascarade autour des prétendues armes de destruction massive de Saddam Hussein, cette fois l’enrichissement de l’uranium par l’Iran, attesté par l’AIEA, représente un danger avéré. La combinaison de cet arsenal en devenir et de l’idéologie Chiite radicale génère un risque global. L’Iran dispose d’un stock suffisant pour concevoir des armes nucléaires : jamais depuis sa création, l’État hébreu n’a autant joué sa survie, malgré la lassitude d’une armée israélienne épuisée par la multiplication des fronts. Benjamin Netanyahou, fragilisé sur la scène intérieure et internationale, voit dans ce conflit l’occasion de restaurer son image et de tracer les contours du Moyen-Orient dont il rêve, avec le soutien indéfectible de Trump.

Alors que le spectre d’une guerre régionale ou mondiale alarme chancelleries et monarchies du Golfe, l’Arabie saoudite savoure discrètement l’affaiblissement — voire l’anéantissement — des capacités iraniennes, longtemps perçues comme une menace directe. Le silence Syrien révèle les priorités d’un régime préoccupé de sa propre survie. Mohamed al Charaa veut sceller ses relations avec Israël, pendant que le Liban reste figé par la frilosité de ses dirigeants face au Hezbollah. L’Irak chiite, quant à lui, prend ses distances, tandis que les Houthis appellent les nations musulmanes à « rejoindre le jihad contre l’arrogance sioniste-américaine ». L’issu sera-t-il une bombe sale ?

La Chine, partenaire prudent de l’Iran, cherche avant tout à sécuriser son approvisionnement énergétique et à préserver un levier géopolitique face aux États-Unis. Elle prône la stabilité régionale mais ne s’engagera jamais militairement aux côtés de Téhéran. La Russie, engluée dans le conflit ukrainien, reste en retrait en essayant néanmoins d’afficher sa volonté d’être un intermédiaire en recevant le Ministre des Affaires étrangères Iranien, Abbas Aragchi.

Dans cette situation en mutation d’heure en heure, la région entre dans une phase de recomposition des équilibres stratégiques. Même si l’Iran a été aujourd’hui amputé de ses moyens tactiques d’exporter sa révolution, activera-t-il ses réseaux d’influence pour cibler les intérêts américains et israéliens ? Les Pasdaran garderont-ils la main ou verront-ils leur autorité contestée ? Les frappes ont-elles déjà infléchi la donne régionale ou affaiblit le régime des Mollahs ? Le Parlement Iranien menace de fermer le détroit d’Hormuz (c’est au Conseil suprême de sécurité nationale qu’il revient d’en décider) en jouant la carte de la peur dans une partie d’échecs géopolitique. 

Enfin, l’embrasement actuel détourne l’attention des drames humains en cours. Palestiniens, Israéliens, Kurdes, Libanais, Syriens, Druzes et Iraniens paient le prix d’un conflit qui dépasse les frontières. La région basculera-t-elle vers un ordre négocié ou vers une guerre prolongée ? La crise moyen-orientale ne se limite pas à un théâtre régional : elle menace l’approvisionnement énergétique mondial et exacerbe les rivalités entre grandes puissances autour des routes stratégiques. Cette interdépendance économique suffira-t-elle à contenir l’escalade ?

Rappelons les mots de Cyrus le Grand : « Je suis l’ami de l’humanité (…) je ne règne pas par la peur mais par la justice ». Cyrus sut conjuguer puissance et tolérance pour bâtir un empire. La région attend un leadership capable de transformer la force en stabilité, et la destruction en raison. Jamais les bombes étrangères ont vu les régimes en place tomber, il ne tient qu’à la mobilisation d’un peuple pour vouloir renverser le cours de son destin. Le Moyen-Orient sera-t-il le berceau d’un nouvel équilibre mondial ou le point de rupture d’une humanité perdue ?

Roula Merhej

Instagram : roulammerhej

X : @RoulaMMerhej

Abonnez-vous pour avoir accès à l'intégralité des contenus exclusifs

Leader des médias économiques libéraux en France