Tom Benoit : réflexion sur l’omniprésence des titres de dette des États dans le système financier et sur l’avenir des monnaies à court terme

Au cours de ces trente dernières années, la valeur des actifs financiers mondiaux a crû beaucoup plus vite que la masse monétaire ou le PIB.

Tom Benoit : réflexion sur l’omniprésence des titres de dette des États dans le système financier et sur l’avenir des monnaies à court terme
Économie et Finance
Jul 30, 2024
Par 
Tom Benoît

La crise des dettes souveraines qui est en train de se profiler sera d’une nature différente des précédentes ; elle découlera, d’une part, des difficultés que vont rencontrer les États pour rembourser leurs créances sans avoir à recourir à des méthodes mettant à mal la propriété privée, et d’autre part, à la nécessité pour les banques et autres institutions financières de continuer à opérer via des transferts et mises en garantie dépendants de titres obligataires publics.

Je dois dire, en préambule, que jamais les obligations d’État (Treasuries aux États-Unis, OAT en France, JGB au Japon…) n'ont été aussi essentielles au fonctionnement du système bancaire, et de facto, du système financier mondial. 

Avant notre ère très financiarisée, jusqu’au années 80, les banques, par exemple, n’avaient pas tant à se tourner vers les marchés monétaires pour financer leurs activités. C’étaient les dépôts qui servaient principalement à faire tourner la mécanique bancaire ; mécanique qui était, par ailleurs, plus régionalisée, il convient de le préciser. 

De nos jours, les repos réunissent des pratiques qui sont devenues indissociables du fonctionnement des banques afin de permettre à celles-ci d’emprunter à court terme en utilisant des actifs comme collatéraux – et ses actifs sont, dans l’immense majorité des cas, des obligations d’États.

Étant entrepreneur avant tout, j’ai pour usage d’analyser les situations via des axes utilitaristes. Je dis cela parce que je suis régulièrement surpris par les analyses d’économistes qui, malgré une profonde érudition, paraissent oublier le monde dans lequel on vit et le système qui le fait avancer – je fais référence à des personnes qui présentent des postulats qui n’existent afin de démontrer des situations qu’ils s'interdisent, au fond, de comprendre pleinement.

Au cours de ces trente dernières années, la valeur des actifs financiers mondiaux – on y reviendra, car, en effet, il n’est pas chose aisée de définir ceux-ci – a crû beaucoup plus vite que la masse monétaire ou le PIB. 

Notons que la part des obligations au sein des actifs financiers est passée de minime à majoritaire en une cinquantaine d'années de temps. 

Selon mes calculs, approximatifs, le ratio entre la valeur des actifs financiers globaux (marchés boursiers, obligations…) et le PIB aux USA, est passé de 1:1 à plus de 4:1 entre les années 1970 et aujourd'hui. Je me fis à des estimations communiquées par McKinsey global Institute.

Le cercle vicieux réside dans l’équation suivante : les États sont trop endettés, et parallèlement, les marchés bancaires et financiers auraient besoin de davantage de titres publics pour continuer à fonctionner.

Plutôt que de rôder autour du pot, je vais essayer de vous résumer directement le fond de ma pensée – le but n’est pas ici de proposer des solutions, les opérateurs sont trop multiples pour cela : la surestimation des actifs financiers par rapport à la monnaie en circulation contraint les banques à utiliser trop massivement des mécanismes comme les repos pour transformer des actifs en liquidité.

Pour les néophytes, et afin d'être pleinement audible, les repos (Sale and purchase agreement) sont, en quelque sorte, des prêts sur gages ultra-financiers ; un investisseur ayant besoin de liquidité (de la monnaie) vend des titres à un acheteur auprès duquel il s’engage à procéder à un rachat à une date ultérieure avec des intérêts. Pour résumer, celui qui détient du cash le fournit à celui qui n’en a pas, avec comme garantie, des titres jugés très sûrs.

Au début des années 1970, le marché des repos était en phase de développement. Les repos existaient depuis des décennies, mais leur utilisation commençait à peine à croître. 

Selon une estimation indicative basée sur les données de la Réserve fédérale, les volumes des repos des primary dealers (ce sont les principaux négociants en titres d’États.) était de l’ordre de quelques dizaines de milliards de dollars par jour.

En France également, les pratiques affiliées étaient marginales ; les opérations de financement des banques reposaient davantage sur des mécanismes nationaux (par exemple, prêts de la Banque de France) que sur un marché de repos standardisé. 

Les repos étaient principalement organisés entre deux parties ; aujourd'hui, au vu des volumes, les opérations mêlent généralement un tiers qui standardise et sécurise le processus.

Le marché des repos atteint aujourd'hui 2 à 4 trillions USD/jour aux USA et environ 1 à 2 trillions EUR/jour en Europe – c’est l’importance de ces volumes qui justifie des systèmes plus robustes pour gérer les transactions.

En Europe, ce sont des plateformes comme RepoClear ou Eurex Repo qui pratiquent ces activités. Si l’on devait résumer, on pourrait dire que les repos tripartites dominent le marché lorsque les acteurs sont des banques centrales et des sociétés largement réglementées, et que les repos bilatéraux sont généralement pratiqués par les hedge funds. 

Dites vous bien que si le système de la finance internationale ne reposait pas tant sur les titres, il serait autrement plus complexe de vendre des obligations japonaises lorsqu'elles n'offrent pas de rendement significatif par exemple.

Seulement, voilà, les JGB sont des titres sûrs et liquides, donc idéaux pour servir de collatéral dans les repos – entre autres caractéristiques, ils répondent aux exigences de High-Quality Liquid Assets (HQLA) imposées par les régulations de Bâle III.

Au Japon, les JGB, même à 0 % sont préférés à des actifs plus risqués – les banques et autres compagnies d’assurance et fonds de pension achètent des JGB pour répondre à des besoins réglementaires (réserves en capital, liquidité…).

Comme j’ai commencé à vous l’expliquer, il y a donc aujourd'hui plus d'actifs que de monnaie ; la valeur des actifs principaux, qu’ils soient financiers ou non-financiers, est largement supérieure à la quantité de monnaie circulante. Cela malgré les impressions massives qui ont eu lieu ces dernières décennies.

Attention, le raisonnement est subtil – accueillez-le comme tel, sans préjugés. Partant de ce principe, on pourrait conclure que ce sont les devises qui vont prendre de la valeur. La logique veut traditionnelment que ce qui est rare s'apprécie et que ce qui est abondant se déprécie. 

Pourtant, ça n'est sûrement pas ce qui va se produire, quoique… En réalité, l'ambiguïté fondatrice vient de ce que l’on considérerait parfois trop la monnaie comme un actif, et paradoxalement parfois trop un actif comme l'équivalent d’une réserve monétaire ; mon bien immobilier vaut 700 000 euros, donc j’ai 700 000 euros...

Déjà, il convient de segmenter deux catégories d’actifs : ceux dont la valeur repose sur un caractère juridique, légal, institutionnel… et ceux dont la valeur dépend de l’utilité, de la demande… À l’évidence, pour imager, une OAT (obligation française) est à ranger dans la première catégorie, et une villa à Malibu est à classer dans la seconde.

Je vais être trivial. Nous sommes à la croisée des chemins. Demain, les monnaies qui reposent davantage sur des titres que sur l’usage que l’on fait d’elles, perdront de la valeur, même si leur volume semble ne pas suffire pour financer l’économie ; la valeur des actifs qui reposent sur un caractère monétaire trop institutionnel se sera plus aussi stable qu'aujourd'hui.

L'embarras vient aussi du fait que l’on fasse souvent… comme si ; comme si les banques centrales n’achetaient jamais les titres des États de leur zone monétaire, comme si les marchés n’étaient pas libre-échangistes, et à l’inverse, parfois, comme s’ils l’étaient réellement. Ce sont toutes ces inversions qui conduisent à des incohérences que, même les experts, ne parviennent plus à comprendre. Probablement parce qu'ils s’interdisent d'admettre l’immense fragilité du système financier. 

J’ai constaté, au gré de mes réflexions sur notre sujet, que le ratio masse monétaire/valeur des actifs n’a pas du tout évolué de la même façon aux USA et en France entre les années 1960 et aujourd'hui.

Il en ressort, qu’en France, la masse monétaire (M2) d’environ 3200 milliards d’euros est devenue très faible par rapport à la valeur totale des actifs. Aux États-Unis, la croissance monétaire a davantage suivi la prise de valeur des actifs financiers et non-financiers.

Bien sûr, ces calculs sont complexes, et ne peuvent quasiment jamais permettre de fournir des résultats probants. Trop d'éléments viennent ajouter de la confusion : le dollar à assis sa position de monnaie mondiale, la France à adopté une monnaie commune à plusieurs États... Aussi, mesurer la masse monétaire en franc en 1960 en France est plus facile que d’effectuer le calcul de l’euro qui circule exclusivement en France en 2025. 

À moyen et long terme, j’ai du mal à imaginer comment l’or pourrait ne pas prendre encore plus de valeur – puisqu’il va devenir le seul véritable actif monétaire. D’autre part, je pense que l’usage des crypto-actifs (stablecoins ou cryptomonnaies), présentant plusieurs caractéristiques attrayantes, devrait se propager massivement.

Je pense également que l’avenir nous fera connaître de nouveaux stablecoins adossés à des commodités – pour le moment, le marché des stablecoins repose encore principalement sur les titres obligataires.

Durant les trois années qui viennent, je prédis un avenir stable au dollar de Singapour. Je note que celui-ci fait partie, avec le franc suisse (CHF), des monnaies qui ont le plus conservé leur valeur depuis le début de ce siècle. Je suis plus mitigé concernant le franc suisse dont je range l’heure de gloire derrière nous. Je serai particulièrement attentif au rapport au temps, indissociable de la valeur ; sa nature sur les marchés va se métamorphoser. Également concernant la perception de la liquidité.

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