Interview de Pierre Sabatier : "Les États-Unis ont compris l’intérêt de se recentrer sur eux-mêmes"

Analyse de Pierre Sabatier sur les relations économiques sino-américaines.

Interview de Pierre Sabatier : "Les États-Unis ont compris l’intérêt de se recentrer sur eux-mêmes"
Économie et Finance
May 27, 2025
Par 
Beinjamin Danielou

Pierre Sabatier est économiste, président-fondateur de PrimeView et président de l’AUREP, organisme de référence en formation à la gestion de patrimoine

Analyse de Pierre Sabatier sur les relations économiques sino-américaines.

 

Une mise en contexte de l’économie Chinoise ?

La croissance exceptionnelle de la Chine, spectaculaire par sa vitesse, s’explique avant tout par des facteurs structurels, notamment l’ouverture du commerce international et l’explosion démographique de sa population en âge de travailler. Mais aussi par une politique monétaire très agressive : à partir de son entrée dans l’OMC en 2001, la Chine est devenue l’atelier du monde grâce à sa compétitivité-prix durable dans le temps, avec un dumping monétaire (interventions massives sur les marchés par l’intermédiaire d’achats d’obligations américaines) qui lui a permis de maintenir un yuan artificiellement faible. Cela a favorisé ses exportations et accéléré sa montée en puissance industrielle car le reste du monde a eu intérêt à son développement économique.

 

L’intégration de la Chine dans le commerce mondial peut-elle être un intérêt pour l’Occident ?

L’intégration de la Chine dans le commerce mondial a surtout profité aux consommateurs et aux entreprises occidentaux : baisse des prix des produits pour les ménages, réduction des coûts de production pour les entreprises et croissance économique des pays développés. Mais cette dépendance croissante comporte des risques car elle rend les économies occidentales vulnérables à toute rupture de la chaîne d’approvisionnement.

 

La stratégie américaine sous Trump 1 et Biden…

Depuis plusieurs années, et déjà sous le premier mandat de Trump, les États-Unis ont compris l’intérêt de se recentrer sur eux-mêmes car ils disposent d’une croissance potentielle résiduelle dans un monde où la création de richesses se réduit. La politique de Trump visait à instaurer un rapport de force, non seulement économique mais aussi politique, avec la Chine et d’autres partenaires. L’administration Biden n’a pas inversé cette tendance, allant même jusqu’à augmenter certains droits de douane. Cette continuité stratégique vise à renforcer l’hégémonie américaine en réduisant la dépendance à la Chine, tout en maintenant la suprématie du dollar sur la scène internationale.

 

Trump, un président qui fait ce qu’il dit ?

Trump s’inscrit lui-même dans la lignée du dernier président américain du XIXe siècle, William McKinley, connu pour sa politique douanière protectionniste et son recentrage de l’économie américaine sur les intérêts nationaux. Toute tentative de Trump d’augmenter les droits de douane pour résorber son déficit commercial sera vouée à l’échec, sans agir sur les taux de change qui fixent le rapport de force international. Trump n’a pas rétropédalé dans la guerre commerciale, il a fait regagner en compétitivité l’économie américaine de 20 % depuis sa prise de pouvoir en janvier : 10% avec la hausse des droits de douane et 10% avec la baisse du dollar. 

Effets inattendus sur le dollar…

Les annonces de droits de douane sous Trump ont eu des effets inattendus sur le dollar : au lieu de se renforcer, le dollar s’est affaibli, ce qui va à l’encontre des précédents historiques des années 80. Cela s’explique par le fait que, dans le contexte actuel, la confiance dans la devise américaine reste forte, mais les investisseurs cherchent aussi à diversifier leurs avoirs. La Chine, de son côté, n’offre pas une alternative crédible au dollar : les détenteurs de capitaux chinois en sont la preuve, tant ils cherchent à sortir du contrôle politique de l’empire du Milieu.

 

Le rôle réel des droits de douane

Contrairement à ce que l’on pense souvent, les droits de douane n’ont jamais été le moteur principal de la compétitivité d’un pays. Dans une économie mondialisée, le taux de change est un levier clé, souvent plus déterminant que les droits de douane eux-mêmes, qui sont surtout des outils politiques ou tactiques, rarement efficaces sur le long terme pour rééquilibrer une balance commerciale. Si votre monnaie baisse de 20 ou 30%, le chemin est très rapide. L’économie américaine n’est pas si dépendante des importations chinoises qu’on le dit puisqu’elles ne représentent qu’environ 15 % du PIB des Etats-Unis ; si bien que l’impact inflationniste de ces mesures protectionnistes reste limité. Surtout la Fed a le pouvoir d’injecter massivement des liquidités avec de nouveaux quantitative easing pour compenser les déséquilibres.

 

Vers une nouvelle indépendance européenne ?

Je constate que l’Europe commence enfin, avec 10 ans de retard, à prendre conscience de la recontinentalisation des échanges et de la nécessité de retrouver une certaine indépendance économique, sous les coups de boutoir américains. Le nouveau rapport de force international instauré par Trump force les Européens à repenser leur propre modèle et à défendre leur marché avec des mesures protectionnistes qui limitent sa vulnérabilité.

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