Aujourd’hui, les recompositions géopolitiques du Proche-Orient semblent rejouer ce scénario biblique.
Il y a 2 600 ans, le rêve prophétique du roi Nabuchodonosor annonçait la chute des empires. Aujourd’hui, les recompositions géopolitiques du Proche-Orient semblent rejouer ce scénario biblique. À l’heure où l’Arabie Saoudite s’affirme, où Israël s’isole, et où les États-Unis redéfinissent leurs alliances, le colosse aux pieds d’argile vacille-t-il à nouveau ?
Il y a 2600 ans Nabuchodonosor fit un rêve qu’aucun de ses sages put percer. Dans ce rêve qui le troubla, le plus grand Roi de l’empire néo-babylonien (l’actuel Irak) eut la vision d’une statue composée de cinq parties. Une statue gigantesque et terrifiante faite d’or, d’argent, de bronze, de fer et d’argile se dressait devant lui. Une pierre détachée frappa la statue qui s’effondra et fut réduite en poussière. L’interprétation prémonitoire de ce rêve faite par Daniel, jeune exilé Juif intervient alors grâce à l’inspiration divine. La tête en or est Babylone, symbole de la gloire de Nabuchodonosor et de sa toute-puissance. La poitrine et les bras en argent représentent l’empire perse qui succédera à Babylone. Le ventre et les cuisses en bronze l’empire grec, notamment sous Alexandre le Grand. Les jambes en fer l’empire romain, puissant et destructeur. Enfin, les pieds de fer et d’argile décrivent un royaume divisé, fragile et instable, souvent interprété comme étant les royaumes post-romains ou le Moyen-Orient actuel.
Au sens symbolique et théologique, ce rêve annonce le déclin des empires fondés sur la violence et la domination. Dans l’interprétation historique, chaque métal symbolise une puissance qui succède à la précédente. Si l’on croit cette prophétie en quatre temps sur les grands empires du Proche-Orient, l’époque que nous vivons est bien l’alliage fragile et dangereux du fer et de l’argile.
Le Moyen-Orient, paraît reconstituer un scénario biblique avec tous les enjeux mondiaux que cela implique. L’élection de Donald Trump homme de « deals » avant tout et architecte impatient de son propre Babylone, a bouleversé la configuration du monde. Sa tournée actuelle dans les pays du golfe marque une nouvelle ère. Un grand absent est cependant absent dans les négociations régionales : Israël. Autrefois au centre des équilibres, Israël se retrouve isolé. Militairement redoutable, technologiquement avancé mais diplomatiquement érodé. L’état hébreu est en train de vivre un paradoxe : il n’a jamais été aussi puissant mais jamais aussi seul. Les images de Gaza ont fissuré l’adhésion inconditionnelle occidentale. L’allié américain, pilier traditionnel de sa sécurité commence à contourner Tel-Aviv. L’Arabie Saoudite s’impose donc comme le pivot stratégique et détient la clé d’un possible accord historique sur la reconnaissance d’un État Palestinien. Riyad sait que le prix de sa normalisation avec Israël devra passer par la création d’un État Palestinien au moins reconnu formellement, même si ses contours restent à négocier.
Les Etats-Unis de Donald Trump, bien décidé à battre la Chine, semblent prêts à offrir l’atout suprême au Royaume Wahhabite: le nucléaire civil. Un programme saoudien encadré, supervisé mais qui en ferait une puissance sunnite dotée d’une technologie atomique dans un monde où la dissuasion est depuis la seconde guerre mondiale, la monnaie du pouvoir. Contrairement au Pakistan qui possède l’arme nucléaire depuis 1998, l’Arabie Saoudite cherche un nucléaire civil à usage énergétique mais avec une ambition latente de dissuasion régionale notamment face à l’Iran. Dans ce spectaculaire jeu d’équilibristes, Israël devient paradoxalement l’élément le plus isolé. Benjamin Netanyahou, apparait de plus en plus radical et difficile à manœuvrer ce qui expliquerait sa marginalisation dans les nouveaux équilibres régionaux. Soutien inconditionnel par le passé, Donald Trump marque une distance stratégique. Washington a ouvert des canaux directs de négociations avec le Hamas via des intermédiaires régionaux. Cette diplomatie parallèle court-circuite Israël et semble annoncer une nouvelle étape : stabiliser Gaza sans passer par Jérusalem. Simultanément, des discussions discrètes avec l’Iran sont relancées dans le but de freiner l’influence grandissante de la Chine qui avance ses pions économiques et militaires à Téhéran comme à Riyad. L’Iran devient une pièce de l’échiquier et non plus un ennemi à exclure du jeu. La levée probable des sanctions syriennes semble aussi se profiler malgré les bombardements israéliens. Tout indique le basculement structurel de la politique américaine au Moyen-Orient.
L’interprétation du rêve de Daniel est un chef d’œuvre d’eschatologie politique. Plus qu’un prophète pour les judéo-chrétiens, Daniel incarne une résistance morale et spirituelle face aux puissances dominantes, et une vision du monde où l’Histoire n’est pas linéaire mais cyclique, faite de gloires éphémères et de chutes inévitables. Les empires s’élèvent, se durcissent puis s’effondrent sous le poids de leur propre orgueil. Aujourd’hui la recomposition du Proche-Orient est en marche. La création d’un État Palestinien comme concession à l’Histoire pourrait être annoncé dans les prochains jours. La montée d’une puissance sunnite atomique comme contrepoids à l’Iran et un Trump sacré nouveau maître d’œuvre du Proche-Orient, pour ne pas dire du monde, ne semblent pas pour l’instant menacer l’équilibre du colosse aux pieds d’argile. Or, l’Histoire nous a enseigné que c’est précisément dans l’apparente stabilité que se dissimule les fissures.