Forum francophone de la gouvernance du numérique et de l’intelligence artificielle: un front encore discret mais stratégique s’esquisse.
Alors que Genève s’apprête à accueillir les 5 et 6 juillet prochains le tout premier Forum francophone de la gouvernance du numérique et de l’intelligence artificielle, un front encore discret mais stratégique s’esquisse dans les soubassements du nouvel ordre mondial : celui d’une Francophonie en quête de souveraineté numérique et de visibilité géopolitique dans l’ère des algorithmes.
Ce Forum, qui rassemble plus de 50 États autour des enjeux de l’IA, des données et de l’inclusion numérique, ne se contente pas de débattre : il affiche une ambition claire — peser dans les futures régulations internationales d’un espace numérique jusqu’ici dominé par une poignée d’acteurs étatiques (États-Unis, Chine) et de géants privés (GAFAM, BATX). Mais derrière les discours consensuels, c’est une géopolitique du numérique francophone encore incertaine qui se donne à voir.
La question est brûlante : les pays francophones craignent-ils d’être écartés du débat global, relégués dans les marges d’un espace numérique entièrement anglicisé ? La réponse est dans les faits. L’anglais règne sur les plateformes, les standards techniques, les modèles d’IA, les régulations internationales. Face à cette domination linguistique et culturelle, la Francophonie défend l’idée d’un cyberespace plurilingue, respectueux de la diversité culturelle. Mais encore faut-il traduire cette volonté en actes diplomatiques concrets.
Le Forum se donne trois axes : inclusion numérique, diversité linguistique, et souveraineté des données. S’agit-il seulement d’un exercice de réflexion ? Ou bien d’une vraie volonté politique de bâtir des normes, des chartes ou des mécanismes communs entre États membres ? À l’heure où l’Europe tente, avec difficulté, d’imposer un AI Act, et où les Nations Unies cherchent un fragile consensus autour du Pacte numérique mondial, la Francophonie peut-elle être un bloc influent ou restera-t-elle un club d’observateurs ?
Car la Francophonie n’est pas unifiée, ni sur les valeurs, ni sur les priorités. Le Forum sera aussi le théâtre d’un jeu diplomatique subtil entre pays du Nord et du Sud, entre États démocratiques et régimes autoritaires. Les pays occidentaux (France, Belgique, Canada) y verront l’occasion de promouvoir des standards éthiques, là où de nombreux pays d’Afrique ou d’Asie francophone aspirent d’abord à des partenariats techniques, des financements, un accès à l’infrastructure et à la formation. Deux visions, parfois complémentaires, mais souvent dissonantes.
Et comment ignorer que certains États membres de l’Organisation internationale de la Francophonie sont régulièrement pointés du doigt pour des atteintes graves aux droits humains, à la liberté d’expression ou à la surveillance de masse ? Peut-on croire en une gouvernance numérique « éthique et inclusive » portée par des gouvernements qui musellent leur opposition ou contrôlent leur Internet national à des fins politiques ? La Francophonie risque ici d’être rattrapée par ses propres contradictions.
Pourtant, ce Forum survient à un moment où le multilatéralisme numérique cherche désespérément de nouveaux équilibres. L’absence d’universalité dans les normes numériques mondiales laisse un vide, que la Francophonie pourrait, si elle le souhaite vraiment, commencer à combler. À condition d’aller au-delà des déclarations de principe, de parler d’une voix commune, et surtout, d’articuler ses ambitions avec des propositions tangibles sur la scène onusienne.